28/06/2022

Pascal Courcelles: dites-le avec des fleurs

Pendant quatre ans, il a dit “non” à sa mère qui voulait qu’il entre à  12 ans dans une école d’art. Il se dit aujourd’hui qu’elle avait raison. Nous aussi.

Pascal en est ravi, les mésanges du jardin ont snobé la maisonnette qui leur était offerte et ont fait leur nid dans une de ses œuvres, une concrétion hypercolorée de bouchons de tubes de peinture à l’huile. Sa maison-atelier, c’est de l’art en version économie circulaire. Comme pour tous les restes de sa prolifique production, rien ne va au rebut, tout est réutilisé ou plutôt, détourné. Les bouchons multicolores habillent un mannequin à l’entrée et d’autres formes indistinctes plus loin; les tubes vidés, raclés jusqu’à la dernière bavure de couleur, sont ouverts au cutter. Aplatis, ils sont enfilés comme un durum sur un manche vertical et deviennent un totem. Idem pour leurs embouchures. Des découpures plus petites fourniront de jolies chauve-souris arc-en-ciel pour des mobiles. Une pile de livres anciens ou une pile de tuiles trouveront une nouvelle vie sous une épaisse couche de couleur, des pochettes de vinyles 33 tours servent de substrat à des additions de peinture qui s’étagent en dents de scie. Comme un crépi vu à la loupe ou une maquette en relief des Dolomites, revue dans une polychromie joyeuse. Polychromes aussi, les grandes toiles de matière épaisse, que le peintre travaille et retravaille couche après couche, pendant des années parfois. Une belle évocation non-figurative des Nymphéas de Monet où, sur fond bleu pâle, les fleurs sont des roses, toujours fraîches après dix ans. C’est l’âge de sa série des fleurs. De grands formats comme il les affectionne, à la mesure de son besoin irrépressible de reprendre, recharger la matière en épaisseur: “Je repeins dessus, ça m’évite des déplacements et des transports, mais chaque couche, c’est du poids en plus. Tenez, celle-là pèse 80 kilos! Et à l’intérieur de celle-ci, j’ai caché un grand livre…”

Un banquet de couleurs

En contraste total avec les épaisseurs de matière qui sont un peu sa marque dans l’esprit des amateurs, ses dessins sont souvent d’une finesse très élégante. Certains synthétisent d’un seul trait, à main levée, un moment de jazz (une de ses passions) ou des corps de femmes, d’autres font appel à l’aquarelle, d’autres encore éclatent de couleurs, un bleu strident surtout, qui lui vient tout droit de Grèce qu’il a sillonnée pendant plusieurs mois, adolescent, passant d’île en île avec son vélo à bord des ferrys. Beaucoup sont rassemblés dans l’atelier, ils proviennent d’une expo associant peintures et dessins sur le thème du Banquet de Platon. Encore la Grèce, mais un peu revue sous l’objectif de Chris Marker.

Tout en parlant (il parle beaucoup), il ne peut s’empêcher de chipoter, rectifier de l’ongle du pouce un petit redan de peinture qui rebique comme un cheveu rebelle. Il n’arrête jamais de travailler. “Sans doute parce que, sinon, je n’arrêterais jamais de parler, je suis un grand bavard parce que je travaille seul… Mais ma femme dit que je ne travaille pas, que je m’amuse.”

Elle le laisse faire. En vingt-sept ans de ce qui est clairement un mariage d’amour heureux, elle n’a formulé qu’un interdit à son artiste de mari: pénétrer dans la partie habitation avec ses chaussures et ses vêtements de travail, craquants de couleurs façon palette. Il est vrai que tout est blanc, chez les Courcelles. Le sol de l’atelier aussi, d’ailleurs, recouvert de ces cartons de protection qu’utilisent les peintres en bâtiment. Il les change de temps en temps. Leur lumineuse blancheur fait éclater les couleurs des toiles et des dessins aux murs, comme celles des fleurs et les verts de la végétation de l’immense jardin, par-delà les baies de l’atelier. Il y crée et cultive près de 400 variétés différentes de roses, avec une passion absorbante et une science qui lui vient d’un des plus grands spécialistes mondiaux de cette fleur, Ivan Louette, créateur de la roseraie de Chaumont-Gistoux. Devant une Musquée sans soucis toute simple – la mère de toutes les roses, celle des tombes des pharaons égyptiens -, Pascal lâche: “C’est vrai que nul n’est prophète en son pays: Ivan, qui est ouvrier communal, est célèbre dans le monde, des Japonais débarquent à Chaumont par cars entiers pour voir la collection de rosiers qu’il a plantée sur un parking communal et des habitants se sont plaints, parce que les épines griffaient la carrosserie de leur bagnole…”

Peindre, une question d’espace

On est en Brabant wallon, près de Walhain, centre géographique de la Belgique, où  Pascal Courcelles est venu trouver l’espace, la nature et le calme qui lui manquaient. En ville, raconte-t-il, les artistes privilégiés sur ce plan sont parfois involontairement piégés lorsqu’ils ouvrent leurs portes lors d’un parcours d’artistes: “Beaucoup d’amis ont ainsi perdu leur atelier, par la faute d’agents immobiliers qui se glissent dans le flot des visiteurs et sympathisent avec eux. Ils s’extasient sur l’espace qu’ils ont, demandent incidemment le montant du loyer du loft… Et filent faire offre au propriétaire. J’ai un copain peintre émigré à New York, son “atelier” a la taille d’un placard. A Paris aussi, le manque d’espace est terrifiant. Comment voulez-vous faire de la peinture dans ces conditions?” La peinture et le dessin, pour lui, ont toujours été la voie royale alors même que, pendant ses études en 1975-1979 à Tournai, ses profs tentaient de l’en dissuader: “Ils me disaient “Mais la peinture, c’est fini! Faut faire du conceptuel!” Heureusement, je ne les ai pas suivis.” Il n’avait pas non plus suivi sa mère qui voulait qu’il entre en école d’art à 12 ans. Son papa, journaliste au Congo alors belge, y avait fondé Liberté, un journal, et une famille. Il est décédé à 44 ans, laissant 9 enfants à nourrir à sa veuve. “On avait peu de moyens et c’est moi qui, à la maison, bricolait les jouets, les arcs et les flèches, les tomahawks d’Indiens et c’est peut-être pour ça qu’elle m’a poussé dans la voie artistique, alors que j’étais en latin-grec au Collège Saint-Pierre d’Uccle. J’ai fini par accepter à 16 ans et plus tard, me suis rendu compte que ma mère avait eu raison et que j’avais perdu 4 ans. J’ai bossé dur pour rattraper le retard.”

Pascal travaillait la nuit pour peindre le jour. Il a été éducateur pour enfants handicapés pendant onze ans avant d’oser se lancer dans la peinture à temps plein, à la faveur d’une exposition qui a bien marché. La première. C’était la veille de la naissance de son fils. Il vit aujourd’hui de son art et se dit qu’il y a trop de bons moments dans la vie pour prendre sa retraite. Stève Polus

Pascal Courcelles est présent dans deux galeries en Flandre, une à Paris, une au Liban et une sur l’île de Ré, où les bleus rappellent souvent ceux de Grèce. 

Les photos sont pour la plupart dues au talent de Mireille Roobaert. Celles de la galerie du bas ( sauf Pascal Courcelles avec son chien, photo de Mireille Roobaert), nettement plus maladroites, sont de Stève Polus qui a la faiblesse de les aimer…