Le défi fou de Pierre Gillis

En un seul dessin étonnant de réalisme, Pierre Gillis a concentré tout l’univers de Jan Van Eyck. On y voit vraisemblablement le peintre lui-même comme son frère Hubert, entre des personnages comme l’évêque Donatius de Reims, Marguerite Van Eyck, le chancelier Nicolas Rolin, Isabelle Borluut, le Chanoine Joris van der Paele, Giovanni et Constanza Arnolfini, le Cardinal Niccolo Albergati, Baudouin de Lannoy, Jan de Leeuw, Sainte Barbara de Nicomédie...

Le projet fou du dessinateur Pierre Gillis: représenter, en un unique dessin, les 25 maîtres absolus de l’histoire de la peinture. Six mois de travail par dessin. C’était son dernier challenge. 

Pour  réaliser son défi, Pierre a dessiné pendant trois à quatre heures chaque jour, dimanches compris.

Aux murs de sa petite maison de Gentbrugge (Gand), quelques belles toiles de son grand-père Piet Gillis, surnommé le dernier impressionniste flamand. Devant lui, à plat sur une table, la feuille d’épais velin sur laquelle son crayon qui ne tremble pas dessine l’univers entier d’un des 25 plus grands peintres de tous les temps qu’il a choisi d’illustrer. Leurs œuvres, leur famille, leurs mécènes, les demeures et les lieux où ils ont vécu, les grands moments de leur vie, tout s’imbrique avec une minutie d’horloger et une précision de scalpel dans une seule image de 60 cm de large. Au prix de plusieurs années de recherches et de six mois de travail, au bas mot, pour un unique dessin d’une extraordinaire finesse. 

“Il n’y a pas de défaut quand on y met le temps et le soin qu’il faut.”

Ni gomme ni grattoir pour rattraper les défauts, il n’en a pas:  “Il n’y a pas de défaut quand on y met le temps et le soin qu’il faut.” Architecte de métier et dessinateur hors pair, Pierre a décidé un jour, à l’approche de sa septième décennie (il a 75 ans aujourd’hui), de se lancer dans ce travail titanesque, l’ultime pour lui. En commençant bien sûr par Jan Van Eyck, fatalement le peintre le plus cher au cœur de ce dessinateur amoureux de sa ville de Gand, qu’il ne quitterait pour rien au monde. Connu comme un loup blanc dans la cité d’Artevelde sous son pseudonyme de caricaturiste, Gipi, (pour Gillis, Pierre) il en a croqué tous les B.V. (Bekende Vlamingen, Flamands connus) et leurs quartiers de résidence pendant des années de collaboration au journal local, “De Gentenaar”. 

Pierre Gillis, avant d'achever le dessin sur Escher

Il a commencé à Uccle, avec Franquin

C’est à Gand, à Saint-Luc, qu’il a étudié l’architecture. Mais c’est à Uccle, dans l’atelier d’André Franquin qu’il considère comme un des plus grands génies du dessin, qu’il a vraiment découvert sa vocation de caricaturiste: “Nous étions quelques débutants autour de lui. Il nous a donné à chacun un crayon et nous a montré, en nous tapant sur les doigts, comment le tenir et surtout, comment dessiner en s’appuyant sur le bout du petit doigt posé sur le papier. Le petit doigt devient ainsi un point d’appui, un pivot autour duquel la main tourne, tenant fermement le crayon sans tremblements ni fatigue.” La première leçon, magistrale, a été la bonne. Gillis a continué à collaborer au sein de l’atelier de Franquin, avant de se lancer solo dans une carrière qui lui a valu un titre de meilleur dessinateur d’Europe – tout en exerçant par ailleurs la profession d’architecte et en devenant également, par goût, un excellent chef coq. Il met la même passion à concocter des menus (et à les calligraphier) que dans tout ce qu’il entreprend. Pour faire vivre le monde de Jan Van Eyck avec exactitude jusque dans les tentures et les vases de fleurs, il a écrémé plus de 500 toiles de l’époque. Et a fait de même avec Jérôme Bosch, Léonard de Vinci, Le Caravage, Rembrandt, Rubens, Vermeer, Dürer, Michel-Ange, Turner, Goya, Van Gogh, Monet, Picasso, Mondrian, Escher, Lucian Freud, Ensor, Wilkie, Alfred Stevens, De Kooning, Hokusai, Caspar Friedrich, Andy Warhol, Roy Liechtenstein, Frida Kahlo… L’immense travail est aujourd’hui terminé. Gipi a encore quelques années de plaisir devant lui, mais pour quel projet? S.P.